La condition des illustrateurs jeunesse

Publié le par Mr Vandermeulen

illustration-jeunesse.jpgLors de ces fameuses tables rondes organisées par SMart, j’ai été très frappé et ému par l’intervention de deux jeunes femmes qui œuvraient toutes deux dans le domaine de la littérature jeunesse. J’aimerais vous rapporter ici ce qu’elles ont dit ce jour-là, parce que le rapport ne reprend pas intégralement leur témoignage (tout ce qui a été dit lors de ces rencontres n’a pas systématiquement été repris).

 

Ces deux personnes sont restées très discrètes durant la réunion, et c’est seulement après que tout le monde eut fait part de ses désillusions et des problèmes liés à son secteur d’activité (la table ronde réunissait ce jour-là des acteurs de la chaîne du livre et des scénaristes de l’audiovisuel) qu’elles se sont timidement autorisées à parler. Alors que tout le monde s’exclamait et tonitruait sur le constat de paupérisation généralisé du secteur artistique, ces jeunes femmes amorcèrent leur intervention par un constat gêné : la condition d’illustratrice jeunesse qu’elles vivaient actuellement était si misérable à côté des autres expériences relatées autour de la table, qu’elles ne comprenaient pas très bien pourquoi l’on s’offusquait. C’est ainsi que j’appris à mon grand étonnement que dans le monde de la littérature jeunesse, en Belgique francophone du moins, il était concrètement impossible de vivre de ce métier. En effet, une règle tacite imposée par de nombreux éditeurs n’offre quasiment jamais l’occasion à un auteur de signer plus de deux ouvrages par an. Ceci pourrait peut-être s’expliquer par des raisons bassement économiques, mais ce serait oublier une autre loi, plus sourde encore, qui n’autorise que très modérément à un auteur de proposer ses services à la concurrence. A la différence du monde de la bande dessinée, qui voit ses auteurs évoluer allègrement chez toutes sortes de maisons d’édition, qu’elles soient petites (rappelons-nous la bibliographie du regretté Aristophane, qui publiait pratiquement chacun de ses ouvrages chez un éditeur indépendant différent, l’exemple n’est pas insolite), ou qu’elles soient de véritables maisons historiques (nous ne sommes pas sans ignorer que Joann Sfar en connaît beaucoup personnellement), le minuscule monde de l’édition pour enfant n’accepte quant à lui que très mal « l’infidélité » de l’auteur qui ose se proposer autre part. Plus étonnant encore, certains, peut-être parce qu’ils se rendent compte que leur discours n’est pas tenable ou que la petite voix de la mauvaise conscience les titille, de façon totalement exprimée, contraignent leurs auteurs à prendre un pseudonyme. Ainsi a-t-on déjà souvent vu, au sein de ce petit monde, des auteurs qui avaient transgressé ces règles, sanctionnés par un manque inattendu de place au prochain catalogue… Quand on sait qu’en Belgique, un auteur-illustrateur peut espérer au mieux un forfait de 2000 à –  pour des cas, très rarissimes – 3000 euros par ouvrage, et qu’un éditeur jeunesse ne propose généralement pas plus de deux ouvrages par an à son auteur, l’on mesure mieux le témoignage de l’une de ces illustratrices, reprise dans le rapport : « Dans l’illustration de livres jeunesse, on est payé 62 euros la page. On n’arrive pas à s’en sortir. Je suis la seule dans le secteur à avoir le statut d’artiste-chômeuse ».

 

Publié dans Humeurs

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