Bac Philo

Publié le par Mr Vandermeulen

Ah ! le bac Philo ! C’était aujourd’hui, mes petits. L’une des questions de ce matin était : « Y a-t-il d’autres moyens que la démonstration pour établir une vérité ? » Je ne résiste pas à vous montrer la copie du petit Philippe, à qui, bien sûr, j’ai mis un 20/20.

Assemblées générales houleuses, révélations scandaleuses, polémiques ravageuses : mois après mois, la rémunération des dirigeants resurgit dans l’actualité. Trois lois (en 2001, 2005 et 2007) n’ont donc rien résolu. Pourquoi ?
Le vrai problème est que, trop souvent, on évoque le niveau absolu des rémunérations des patrons en général. C’est une erreur. Il y a en France quelque 1,2 million de chefs d’entreprise ayant un ou plusieurs salariés, et leur rémunération moyenne est de 50 000 euros annuels seulement. Même la rétribution moyenne des PDG des 250 plus grandes entreprises cotées de la place n’excède pas 700 000 euros - montant élevé, mais loin d’être délirant. En réalité, il faut monter au niveau du CAC 40 pour atteindre les altitudes évoquées à la « une » des journaux : environ 2,3 millions d’euros par an hors stock-options (le double, stock-options comprises).
Ces montants sont spectaculaires. Il ne faut cependant pas perdre de vue que l’intérêt du pays est que des hommes et des femmes de qualité dirigent ses grandes entreprises. Or d’autres carrières bien plus rémunératrices s’offrent à eux, par exemple dans le private equity. Par ailleurs, les grands PDG allemands et britanniques sont rémunérés à peu près au même niveau... qui est de moitié inférieur aux gains de leurs pairs américains. Enfin, Gérard Depardieu gagne 50 % de plus (stock-options exclues) et Thierry Henry deux fois plus (stock-options incluses).
En période de croisière, les rémunérations des patrons français les mieux payés n’a donc rien d’obscène. Là où le bât blesse, c’est que rien n’est fait pour garantir qu’elles récompensent un mérite effectif - ce qui apparaît clairement à deux niveaux : les stock-options et les parachutes dorés.
L’idée qui sous-tend les stock-options est certes de bon sens : pour inciter un patron à faire prospérer l’entreprise dont il a la charge, on lui permet d’en acheter des actions à un prix fixé à l’avance. Ainsi, plus le cours de Bourse dépassera ce "prix d’exercice", plus il réalisera de gains sur ses stocks. Le problème, c’est que la Bourse a tendance à grimper (le plus souvent) et à baisser (parfois) au rythme de grandes vagues qui portent toutes les sociétés ou presque de manière indiscriminée : la baisse des taux fera flamber les cours, la hausse du prix du pétrole les fera plonger, etc.

Du coup, l’action d’une entreprise s’apprécie souvent sans que son dirigeant y soit pour rien ! Et les distributions de stock-options s’assimilent de plus en plus à un complément de salaire - ce d’autant plus que les techniques financières permettent à leurs bénéficiaires de se protéger à peu de frais contre d’éventuelles baisses... Il faut en finir avec cette première perversion du système !
Il suffirait pour cela que le législateur réserve un traitement fiscal privilégié aux seules stock-options "conditionnelles", c’est-à-dire qui ne se déclenchent que si l’entreprise réalise une vraie surperformance de moyen terme par rapport à ses concurrents (ou même par rapport à la Bourse), pour que les stock-options classiques distribuées "au fil de l’eau", qui rémunèrent moins le mérite que la chance, disparaissent.
Deuxième abcès : les parachutes dorés. En droit français, un mandataire social peut être remercié sans qu’il soit besoin de motiver ni d’indemniser son renvoi. Comment se fait-il, alors, que l’on voie tant de patrons quitter leur entreprise la queue basse, mais les poches pleines ? La réponse est navrante : le plus souvent, nos patrons sont à la fois mandataires sociaux... et salariés, disposant d’un contrat de travail "suspendu" durant le mandat, mais qu’on sortira du tiroir en fin de parcours pour justifier une indemnisation.
Ce double état de mandataire-salarié est contre nature, car on ne saurait, à l’évidence, être dans un « lien de subordination » (c’est ainsi qu’on définit l’état de salarié) vis-à-vis d’une entreprise que l’on dirige soi-même. Mais il est surtout à la racine des indemnisations les plus choquantes : au moment du départ, on multipliera la rémunération très élevée du mandataire... par la protection très forte que le code du travail assure au salarié.
D’où des chiffres astronomiques et indéfendables. Cette seconde perversion est elle aussi facile à guérir. Il faut mettre en demeure les dirigeants de choisir entre le mandat social et le contrat de travail, et leur en interdire le cumul.
Si l’on s’attaque à ces deux problèmes, alors on verra disparaître l’essentiel des scandales. Mais tant qu’il ne travaillera pas à rétablir un lien certain entre le talent des patrons et leur rétribution, tant qu’il ne découragera pas toutes les pratiques destructrices de ce lien fondamental, le législateur passera à côté de l’essentiel et accumulera les textes inutiles.

 

Philippe Manière

 

Publié dans Analyse de texte

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