Du détournement (1) [leçon du groupe B #2]
Bonjour les enfants, après avoir littéralement exténué le groupe C avec ma dernière leçon sur les Majorats Littéraires, cette semaine sera consacrée à ceux du groupe B. J’aimerais vous faire connaître un texte de mon excellent confrère M. Guy Belzane, rédacteur en chef de la très recommandable revue Textes et Documents pour la Classe, et responsable, entre autre, de deux éditions critiques de la bibliothèque scolaire de Gallimard, pour Corneille et Sophocle. M. Belzane s’est penché, dans le n°788 de Textes et Documents pour la Classe sur la question du pastiche et de la parodie dans un texte très intéressant intitulé De l’art du détournement. Tout au long de cette semaine, nous découvrirons ensemble ce texte, que ceux du groupe A ne se privent pas d’intervenir s’il le désirent (il n’est jamais trop tard pour monter d’un groupe !).
N.B. : Comme M. Mirabeau, qui reprenait dans Boccace ce qu’il lui plaisait et changeait les fins qu’il jugeait trop médiocres, je me suis permis de ne pas vous présenter les paragraphes de M. Belzane qui s’éloignaient trop de ma leçon.
LES ORIGINES DE LA PARODIE
par GUY BELZANE
C’est dans La Poétique d’Aristote que nous rencontrons le mot pour la première fois. La parôdia y occupe la quatrième case d’une classification des genres littéraires qui restera pratiquement indiscutée jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Mais en quoi consistait au juste cette parodie antique ? À vrai dire, nous ne le savons pas vraiment. Le philosophe fait bien allusion à quelques œuvres, mais elles ne sont pas parvenues jusqu’à nous.
Nous en sommes donc réduits aux conjectures, et celles-ci n’ont pas manqué. La plus traditionnelle suppose une pratique des rhapsodes, qui auraient émaillé l’Iliade et l’Odyssée de sortes d’intermèdes plaisants, citations plus ou moins littérales de vers d’Homère mais détournées de leur sens et de leur ton originaux, pour faire rire. Vraie ou fausse, cette hypothèse est fidèle à l’étymologie du mot : le grec parôdia se décompose en effet en para (à côté) et ôdé (chant), et signifie « chant à côté » ou encore « contre-chant ». Elle correspond bien également aux deux éléments déjà identifiés comme constitutifs de la parodie : le divertissement et la dégradation, en l’occurrence de l’épopée, genre noble par excellence, et qui plus est de l’épopée homérique, le modèle absolu.
Malgré les allusions d’Aristote à des œuvres précises, tout porte à croire que, dans l’Antiquité, la parodie n’a pas constitué un genre à part entière, mais plutôt une figure, un procédé ponctuel, sous forme de citation. Il en va de même à l’âge classique où le mot n’est utilisé que dans le sens antique. Ainsi Dumarsais donne-t-il comme illustration du procédé la reprise du vers de Corneille : « Ses rides sur son front ont gravé ses exploits » (Le Cid, I, 1) par Racine : « Il gagnait en un jour plus qu’un autre en six mois/Ses rides sur son front ont gravé ses exploits » (Les Plaideurs, I, 5), le mot « exploit » ayant chez Corneille le sens d’acte héroïque et chez Racine celui de... procédure judiciaire !